20100211

Pourquoi une vision humaniste ?

.
Si l’humanisme n’est pas tout à fait né dans notre région, l’avènement de l’imprimerie lui a donné une résonance particulière. La diffusion rapide du savoir alors disponible dans toute la vallée du Rhin et bien au-delà a fait rêver d’un monde dans lequel chaque personne, enfin instruite, deviendrait un citoyen libre et maître de son destin, guidé par sa seule sagesse. Utopie, diront certains, mais qui avait au moins le mérite d’accorder à l’homme sa vraie place, celle d’un citoyen responsable. Cet idéal, qui n’est évidemment la propriété de personne, n’est-il pas la plus belle synthèse des valeurs républicaines de notre pays ? Liberté, égalité, fraternité, ne sont vraiment possibles qu’au sein d’une société ayant épousé l’idéal humaniste.

J’ai lu quelque part que cet idéal aurait définitivement failli… je me demande bien au nom de quoi on pourrait l’affirmer. Il me semble au contraire que des outils tels qu’internet qui permet une diffusion quasi instantanée de n’importe quelle connaissance ouvre des perspectives jusqu’alors insoupçonnées. Bien qu’à l’image d’aliments pas encore digérés, tout ce savoir est vain tant qu’il n’est pas passé par le système « digestif » approprié, c’est-à-dire par des cerveaux éduqués, cultivés, capables de les analyser, de les structurer, capables en un mot de penser. Bien que cette activité prenne du temps, ce qui n’est pas forcément à la mode en ces temps frénétiques, je ne vois guère en quoi elle devrait réservée à de présumés « experts » de tout poils (souvenons-nous des remarquables expertises en matière de grippe A).

Pouvons-nous dire qu’actuellement dans notre pays, tout soit fait pour que chaque citoyen se sente incité à réfléchir, à aller au fond des choses ? Il me semble bien qu’on assiste au contraire à abrutissement collectif orchestré par des médias bien souvent serviles. En particulier par la télévision qui semble plus souvent destinée à empêcher de penser que l’inverse. Sa puissance de fascination et son asservissement croissant au pouvoir central devrait nous faire craindre le pire en cultivant ainsi l’ignorance.

L’instruction, [qui n’est pas tout à fait l’éducation], des nos enfants a toujours été ressentie par chacun comme un point particulièrement sensible de notre société. Cette sensibilité est, à mes yeux, pleinement justifiée. Et c’est là la fonction essentielle de nos institutions éducatives (écoles, collèges, lycées, universités) traditionnellement sous la responsabilité directe de l’état. Cette centralisation était un élément important de la cohésion nationale, elle cimentait pour chaque petit français un sentiment d’appartenance à sa nation, ce qu’on ne saurait regretter. L’éducation nationale a donc toujours été un service public essentiel et ressenti comme tel.


Les services publics français

Un dirigeant chinois, faisait un jour observer à un diplomate français que toutes les nations et gouvernement promettaient à leur citoyen liberté et égalité, qu’il n’y avait là rien d’original. La France ajoutait, elle, la fraternité et çà c’était vraiment quelque chose de spécifique. Il me semble que cette remarque est pertinente. Si les élans fraternels des lendemains de la révolution française se sont quelque peu tiédis, cette fraternité fondamentale rêvée par nos ancêtres continue d’exister, formalisée, organisée dans les « services publics ». Ces structures n’ont rien de commun avec des entreprises, elle ne sont que l’émanation de la volonté populaire d’une fraternité nationale. Une notion comme la rentabilité leur sont par exemple secondaire. Le service public français peut être en ce sens vu comme une partie intrinsèque de l’âme de la France.

La vision humaniste de la France qui est la mienne est en complète contradiction avec celle de notre actuel président pour qui tout - y compris notre nation - devrait être « géré » comme une entreprise. La France serait donc une entreprise dont il serait le PDG ? Vision caricaturale digne des « guignols de l’info ». Que serions-nous dans cette représentation ? De simples ouvriers plus ou moins spécialisés dont la fonction serait de l’enrichir ? Des clients achetant ses services.?

Nous n’expliciterons pas ici tous les aspects de la libéralisation du marché des prestations de service (Directive Bolkestein) et des mises en concurrence néfastes que cela a failli entraîner. La théorie selon laquelle le sacro-saint « Marché » régulerait toujours toute situation de façon « idéale » vient de connaître un cruel démenti avec la faillite d’un système bancaire qui avait poussé la logique libérale à l’extrême (le tout au frais du contribuable français et avec la bénédiction gouvernementale).

Ne sommes-nous pas en train d’assister à une destruction systématique de tous les services publics français pleinement cohérente avec la vision présidentielle et une volonté internationale d’uniformisation purement marchande ?
Les méthodes de leur destruction sont très transparentes : limitation systématique de leurs moyens humains et financiers, stigmatisation des difficultés en résultant comme étant dues exclusivement à leur qualité de service public. Comparaison puis mise en concurrence avec des officines privées, puis à terme fermeture pour manque de rentabilité, tout cela est sans doute le programme. Nous nous opposons - et de manière frontale - au projet gouvernemental de destruction des services publics français.

Dans cette logique absurde, le citoyen, l’homme, est mis en demeure de s’adapter à un système complètement déshumanisé et de servir des intérêts qui n’ont presque plus rien à voir avec lui. La rentabilité partout, concurrence sans limites, tout est fait pour le transformer en un simple outils de production spécialisé, qui semble ne présenter que des inconvénients, surtout celui de coûter cher.

A cette vision destructrice, nous voulons en opposer une autre, inspirée et imprégnée d’humanisme, capable de transcender les fanatismes par la réflexion. Il ne sera pas facile de remettre les structures monumentales construites pour le profit exclusif des très peu de gens au service de l ‘ensemble des citoyens, mais si nous voulons léguer à nos enfants une Terre vivable, il n’est que temps de nous y atteler.

Marc Vigneron
Chercheur en biologie moléculaire à l’INSERM de Strasbourg